Lorsqu’un
musicien vous commande une guitare, j'imagine qu'il expose son style
de jeu, ses goûts et ce qu’il aimerait avoir. De quelle façon
intervenez-vous en tant que conseil ?
Je
vais d’abord le laisser tranquillement essayer plusieurs Samples
aussi longtemps qu’il le désire. Ensuite, en fonction de
son style de jeu, je vais lui proposer les essences qui me paraissent
le mieux adaptées. A quelqu’un qui recherche la puissance
avant tout, l’épicéa et le palissandre s’imposent.
Sustain et réverbération ressortiront mieux avec l’érable.
Je conseillerai le cèdre à un joueur qui a une attaque
délicate et qui recherche l’expressivité.
Arrivez-vous
à percevoir une certaine sensibilité dans la personnalité
du jeu du musicien et imaginer autre chose que le choix sur lequel
il s’est arrêté ?
Ca
arrive mais tout dépend du guitariste. Certains sont un peu
intimidés et mettent du temps à s’exprimer. Dans ce
cas, je travaille dans mon coin en les écoutant discrètement
!
Quels
sont les moments les plus intenses de votre métier ?
Quand
je monte les cordes, naturellement. C’est vrai que c’est un peu
bateau de dire ça, mais les premiers accords d’une nouvelle
guitare, c’est vraiment un moment important. La première
chose que je fais le lendemain, c’est bien sûr de vérifier
mes impressions de la veille ! Il y a aussi les rencontres avec
des musiciens qu’on aime bien. On a des moments de fierté
en voyant nos guitares sur scène : c’est un peu l’aboutissement
de notre travail.
En
quoi l’esthétisme de la guitare est-il important pour vous
et passez-vous beaucoup de temps à travailler les incrustations
?
Pour
moi, en tout cas, ce n'est pas l’essentiel. Ceci dit, quand on a
choisi les bois en fonction de la sonorité, déterminé
le type de barrettes, de Neck et d’un éventuel capteur,
la moindre des choses, c’est de faire plaisir au futur propriétaire
en personnalisant la guitare s’il le souhaite !
Faire
des incrustations, est-ce quelque chose que vous aimez ?
Oui
ça me plaît. Il y a peu de temps que je réalise
des incrustations un peu plus complexes, mais j’y prends vraiment
goût. Au début, en regardant le dessin, on se demande
toujours comment on va s'y prendre. Le
cavalier, par exemple, s'est révélé être
un véritable petit puzzle ! Il faut penser à toutes
les couleurs, au bois, au décor. Il va falloir décider
la couleur de la plaque de tête, de celle de la nacre qu'on
va pouvoir prendre et puis, bien sûr, rester crédible
par rapport à ce que c'est. Par exemple, si c'est un cheval,
on ne va pas prendre des reflets bleus. Il faut ensuite trouver
une unité quand on démarre sur un motif comme le fer
à cheval. J'essaie maintenant, si quelqu'un arrive avec une
idée, de la décliner sur tout l'instrument. Pour la
personne qui m'a demandé de mettre des loups
sur sa guitare et qui est fou de Jack London, j'ai mis deux croissants
de lune sur le chevalet. Il avait poussé la plaisanterie
jusqu'à prendre un étui blanc par rapport à
la neige.
Dans
une guitare, quelle qu’elle soit, on juge bien entendu le son mais
aussi l’esthétique. Quand on lit les bancs d’essais, on s’aperçoit
que ce critère est aussi pris en compte…
Lorsque
j’ai présenté mes guitares à Le
Forestier, j’étais dans la salle, les Samples étaient
sur scène. J’ai vu sa réaction ; il a regardé
les guitares d’abord de près puis il s’est reculé.
Il m’a tout suite parlé de la forme qui lui plaisait.
Vous
arrive-t-il de faire de la restauration ?
Bien
sûr, faire de la restauration a d’ailleurs un double intérêt,
économique évidemment car gage de rentrées
régulières mais aussi didactique. C’est l’opportunité
pour un luthier d’examiner des guitares construites 50 ans auparavant
et parfois bien plus ! En tant que réparateur
agréé MARTIN, j’ai la chance de voir passer entre
mes mains des pièces rarissimes : une 0-45 de 1919, une 0042
de 1929 ou une D28 de 1937, par exemple. Inutile de vous dire que
dans ces cas, je fais un dossier complet sur chaque instrument.
Tous ces enseignements sont précieux pour ma propre gamme.
Quels
sont les luthiers que vous admirez le plus ?
Il
y en a beaucoup à citer. J’ai beaucoup d’admiration pour
Lowden : il a créé un instrument très personnel,
très européen : nouveau barrage, forme originale,
filets en bois au lieu du plastique des Américains, vernis
satiné et surtout une nouvelle sonorité. Gurian aux
U.S.A avait, lui aussi, une forte personnalité, John Gréven
Monteleone et tous ceux qui ne se contentent pas de faire des copies
de Martin ou Gibson. En France , j’aime beaucoup le travail de Fouilleul
et de Montassier ainsi que celui de Cheval, naturellement.
Ne
pensez-vous pas que la lutherie française est peu connue
et peu reconnue ?
On
ne peut plus dire ça maintenant. C’était vrai il y
a une quinzaine d’années mais les choses ont beaucoup évolué.
Dans les années 80, celui qui voulait s’acheter une belle
guitare achetait une Américaine : il n’avait d’ailleurs pas
le choix… Petit à petit, exposition après exposition
, les journalistes ont commencé à faire des bancs
d’essais et à parler de nous. Le grand coup de pouce est
évidemment le livre dont Francis Cabrel est à l’origine
: "Luthiers et guitares d’en France".
La
lutherie française n’arrive pas à s’exporter ?
Le
problème n’est pas vraiment d’exporter. La plupart des luthiers
ne peuvent ou ne souhaitent déjà pas vendre à
des magasins français. Nous sommes presque tous des artisans,
avec une production limitée. La vente directe nous semble
la meilleure solution. Pourquoi consentir une remise importante
quand on a une année de travail devant soi ? Les luthiers
américains individuels travaillent de la même façon
et sont presque tous inconnus ici.
Souhaiteriez-vous
produire des guitares de série ? Embaucher un apprenti, arrivé
à un certain niveau de carrière, vous n’avez pas envie
de …
Je
n’ai pas du tout l’étoffe d’un chef d’entreprise ! Vous savez,
pour être capable d’organiser le travail d’une dizaine d’employés,
rechercher des marchés et gérer les problème
de trésorerie, il faut des sacrés qualités…
Existe-t-il
une concurrence entre luthiers français ?
Non,
pas dans la guitare Folk en tout cas. D’abord, nous sommes peu nombreux
et nous avons des rapports très amicaux : il faut dire qu’on
a commencé ensemble dans les années 80. Nous échangions
des conseils, achetions du matériel en commun et exposions
même ensemble. Je fais allusion à Cheval, Dupont et
Fouilleul en particulier.
Il
y a combien de luthiers acoustiques en France ?
En
guitare classique, il doivent être au moins quarante mais
en Folk, je ne pense qu’on soit plus d’une dizaine. Il est vrai
que le marché n’est pas comparable : le classique bénéficie
d’un apport permanent de guitaristes grâce aux conservatoires.
Est-ce
que beaucoup de luthiers ont une formation d’ébéniste
?
Pas
dans notre génération, en tout cas. Nous sommes tous
venus à la lutherie par la passion de l’instrument et la
majorité est totalement autodidacte. Certains ont suivi des
stages d’ébénisterie ou de sculpture (ce qui ne peut
être que bénéfique, naturellement) mais on ne
peut pas appeler ça une formation.
Quels
sont vos goûts musicaux ?
C’est
assez varié mais on y trouve quand même toujours une
guitare ! De Wes Montgomery à Django en passant par J.J.
Cale et Dylan … Sans oublier la chanson française et Brassens,
évidemment.
Vous
travaillez combien d’heures par semaine ?
Au
moins 60 heures par semaine
C’est
encore une passion ?
Bien
entendu et je m’efforce d’améliorer les Samples en
permanence, tant du point de vue acoustique qu’esthétique.
Quelquefois, il peut s’agir de détails de finition auxquels
je suis seul à prêter attention.
Pour
qui souhaiteriez-vous faire une guitare ?
Si
c’est du point de vue professionnel, ne mégotons pas, prenons
le plus connu : Clapton jouant sur une de mes guitares, ça
serait bien sûr une carte de visite ! !
Qui
sont vos clients ?
Neuf
sur dix sont des particuliers, des gens qui se font plaisir. Il
y a d’excellents guitaristes parmi eux. C’est un peu un rêve,
la guitare des trente, quarante ans.
Que
ressentez-vous quand vous voyez et écoutez un artiste jouer
avec une de vos guitares ?
Une
grande fierté, bien sûr. C'est un peu la reconnaissance
de notre travail. Je me souviens de la première fois où
j'ai vu une de mes guitares sur scène, c'était un
concert de Renaud.
J'avais deux instruments sur scène puisque son guitariste
en avait une aussi. Pour être franc, je crois qu’au début,
j’étais aussi tendu que le chanteur !
Que
pensez-vous que ce site apportera aux musiciens qui le visiteront
et à la lutherie française en général
?
Je
crois que cette démarche s'inscrit dans la continuité
de l'excellent ouvrage "Luthiers et guitares d'en France" paru aux
Editions Chandelle Productions. Ca peut être très intéressant.
En tout cas, c'est une excellente idée.
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